Moi, dit Dieu
(Enfin, NOUS ; j'oublie toujours que nous sommes trois, tellement nous ne faisons qu'un),
Moi, j'aime bien votre orgue,
Tapi dans son coin comme un gros chat qui dort assis dans la boucle de sa queue,
Et qui peut à tout instant ronronner, miauler plaintivement, cracher son ire.
Il suffit pour cela de réveiller ce chat qui dort,
Et il exprime alors votre tendresse, votre faiblesse, votre violence...

Car j'aime bien entendre ce que vous éprouvez,
Dans vos actions de grâces, prières de demande, cris de douleur ou de révolte.
La liturgie de la parole, c'est bien; c'est même très bien;
Mais c'est à vous que cela parle, enseigne, explique.
Et moi, je préfère que vous me parliez avec des chants d'amour, joie ou peine.
"Dites-le avec des fleurs", dites-vous souvent;
Et moi je vous dis: "Chantez-le moi!"
Vous avez chacun une voix pour ça aussi,
Et tous ensemble des dizaines, centaines, milliers de voix.
Alors, allez-y, mes enfants, n'ayez pas peur...

Est-ce que le jour de la fête des mères - ou des pères quand on y pense -
(Et pour NOUS, c'est tout un, car nous sommes père et mère à la fois :
"Dieu créa l'homme à son image (...), homme et femme il les créa" Genèse, l, 27),
Ou lors des anniversaires, on hésite à chanter tous ensemble?
(Même des pauvretés comme "Api beurre se détouillou").
Et croyez-vous que lorsque dans votre vieux garage il y a trente ans,
Vous mêliez vos maigres voix pour des cantiques parfois débiles,
Je n'en étais pas ému autant qu'à la plus grande cérémonie à N.-D.de Paris?

Mais enfin vous avez voulu, mes chers enfants, m'offrir mieux,
Et vous avez bien eu raison.
Ad majorem Dei gloriam: pour une plus grande gloire de moi...
Une chorale qui vous entraîne tous, vous étoffe, vous évite de déraper ou faiblir,
C'est bien. Mais c'est plutôt rare.
Tandis qu'un orgue, il suffit de l'éveiller comme un gros chat dans son coin,
Et alors il vous donne le ton. le thème, le soutien de vos chants:
II les enveloppe d'harmonies, parfois célestes, comme on dit si bien.
Et quand vous avez autre chose à faire que chanter, il me traduit et vous fait ressentir
Ce que vous pourriez alors me chanter,
Si l'artiste sait improviser en écho à ce qui vous a été lu ou dit,
Ou trouver dans le répertoire un morceau du même effet
(Mais j'aime moins quand ça tourne à la béatitude digestive ou à l'hébétude stuporeuse;
alors, je m'ennuie).

C'est que, mes enfants, comme votre voix, l'orgue agit par le souffle;
Et le souffle, c'est la respiration magnifiée, c'est la spiritualité,
C'est cette inspiration d'échange et d'amour qui est en NOUS l'Esprit.
Comme toutes vos voix ensemble, l'orgue, avec mille tuyaux,
Telle la forêt aux passages du vent,
Résonne puissamment ou doucement
("II y eut un grand ouragan (...) en avant de Yahwé, mais Yahwé n'était pas dans l'ouragan
(...) et après le feu, le bruit d'une brise légère. Dès qu'Elie l'entendit, il se voila le visage
avec son manteau, il sortit (...) Alors une voix lui parvint" l Rois, 19, 11-13)

Aussi, vous ne devez pas avoir regret, mes enfants,
Au temps que vous passez à travailler en chorale
Ni à l'argent qu'a pu coûter votre bel orgue
("A quoi bon ce gaspillage? dirent-ils; cela pouvait être vendu bien cher et donné à des pauvres", Jésus s'en aperçut et leur dit: "Pourquoi tracassez-vous cette femme?
C'est vraiment une bonne oeuvre qu'elle a accomplie pour moi" Matthieu, 26, 9-10).
Comme un parfum d'agréable odeur, dit le Psaume,
Voilà comme la VERTU de MUSIQUE éclaire vos cœurs par la beauté
Et monte en offrande pure vers NOUS ...

Un voisin de la rue Charles Péguy

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