"Qu'êtes-vous allés voir ? Un homme vêtu de façon délicate ? Mais ceux qui portent des habits délicats se trouvent dans les demeures des rois. Alors qu'êtes-vous allés faire ? Voir un prophète ? Oui, je vous le dis, et plus qu'un prophète. (Matth. IV, 1 1, 8-9)"

Qui, que sommes-nous donc allés voir, samedi 24 novembre à 18 h 30 dans la nouvelle église Saint-Jean ?
Un spectacle étonnant, certes, un peu démesuré, rebondissant d'inattendu. Varié, mais non disparate. Saisissant parfois, mais jamais gratuit. Juxtaposant le profane au sacré sans profaner le sacré, mais rattrapant au vol le profane pour l'intégrer dans le sens du sacré. Qu'on en juge plutôt...

L'arrivée se faisait dans l'inévitable brouhaha des grandes salles trop pleines, soutenu et comme officialisé par les cabrioles juvéniles d'un orchestre pop. On s'est calmé pour une répétition dynamique des chants, et puis, curieuse sensation, l'éclairage a baissé fortement. Dans la pénombre où s'instaurait un silence un peu inquiet, une brève sonnerie de cloche : le regard se lève et, des ténèbres maintenant compactes au sol, il aperçoit la voix de
bronze seule illuminée dans le faîtage. Mais en bas retentit, enregistré par une voix anonyme et virile, le prologue de l'Évangile selon Saint-Jean: étonnante présence de ce texte fondamental. qui nous investit et nous pénètre, seul perceptible dans l'ombre générale !

Et puis la lumière revient partout; soulagement de retrouver 1e connu, les aimables mots d'accueil du curé, le Père Million, à notre évêque Mgr Bussini, au pasteur, au pope grec, aux anciens prêtres de la paroisse, à des curés voisins. Chant de pénitence: "Vois notre peine, notre misère..,". Ici, sans préavis, dérapage soudain sur les peines et les misères des paroissiens et surtout des reconstructeurs pendant plus d'un an: et pour que nul n'en ignore, l'obscurité se fait : au-dessus de la sacristie se dresse un écran où défilent les diapositives de ces épreuves épiques, accompagnées d'un commentaire exact, sobre et familier, que spontanément le public applaudit à son terme. Sur ce, en gage de remerciement aux ouvriers et artisans, une fillette apporte des Fleurs à l'un des maîtres d'œuvre présent dans l'assistance, qui applaudit encore. Comportement profane (mais si courant dans les églises du XVIIe siècle) ?
Scandale ? Nullement : les battements de mains se Fondent, se rythment sur le cantique "Tout le monde battez des mains", précédemment répété avec d'autres. D'ailleurs voici le Gloria, récité en chœur, et un texte de l'Apocalypse: "Je suis l'alpha et l'oméga...". Est-ce déjà la messe ? Déjà, mais aussi pas encore.

La lumière disparaît à nouveau: un paroissien, tandis qu'elle s'estompe, nous réfère au baptême pour l'alpha, et un pinceau lumineux vient découper l'antique baptistère taillé dans la masse avec ses sculptures foliées: l'oméga, c'est la croix, qu'un second pinceau révèle à son tour: et quand le Père Million explique le dallage de pierres des montagnes, en forme de filet pour drainer le passant de la croix vers l'autel, ce dernier se trouve lui aussi enrobé de lumière, table massive taillée dans une pièce de bois héritée du lointain Moyen Age. Un passage de l'épître aux Éphésiens (IV, 1-7) et l'orgue nous mènent à l'homélie de Mgr Bussini.

Et voici, au moment où nous n'en attendions plus, la surprise la plus spectaculaire de cette cérémonie fertile en rebondissements : l'authentique parchemin portant l'historique et la dédicace de l'église, lu par un paroissien et
signé par notre évêque, est hissé par un pompier montagnard jusqu'au poinçon, pièce centrale du faîtage suprême, pour y être déposé dans une cache où le découvrira, dûment scellé. quelque archéologue de l'avenir ou du cosmos... L'orchestre pop accompagne cette performance sportive, longuement applaudie.
Profanation, ce numéro de cirque ? Ou plutôt contribution d'une des plus nobles activités alpines à la glorification du temple...

La suite ne laisse plus de place au doute : la messe des catéchumènes, ouverte aux novations, vient de prendre fin. Un Credo vibrant est massivement proféré, deux lycéennes formulent subtilement des intentions de prière;
l'offertoire est accompagné au piano par le "Prélude en si" de Franck: l'assistance chante Sanctus et Agnus: après une communion abondamment fréquentée, Mgr Bussini remercie de leur présence le Préfet et le Maire, venus en famille, ainsi que d'autres notabilités civiles; une collecte pour Sœur Emmanuelle dans son bidonville égyptien précède le cantique final.

Tout cela, ce sont bien les parties de la messe. Finalement, que sommes-nous allés voir ? Un spectacle ? Assurément, mais bien plus qu'un spectacle. Que sommes-nous donc allés faire ?
Participer à une messe, c'est-à-dire à un culte et à une fête. L'antique tradition, la vraie, y a sonné, enveloppé, transfiguré les innovations qui la renouvelaient de l'intérieur et l'irriguaient comme d'une jouvence. Eux aussi, les paroissiens de l'ancien Saint-Jean retrouvaient en écho leurs traditions dans le nouveau Saint-Jean, tantôt de leurs messes des jeunes, tantôt de leurs cantiques plus sages, dans le courant de la messe toujours sainte.

Allons ! la surprise justifiait notre patience, et la piété de tous justifiait toutes ces surprises.
Saint-Jean est de nouveau là, plein de la vitalité turbulente de ses paroissiens, plein de celle, acharnée, de ses reconstructeurs: curé, équipe paroissiale, ouvriers et artisans. Vie cultuelle et manifestations culturelles y scanderont l'existence d'un vaste quartier, que l'on savait excentrique (à plus d'un sens du mot) mais que l'on ne pressentait peut-être pas aussi spirituel (également à plusieurs sens du mot).

Encore une " église de Grenoble " à (re)découvrir dans son bâtiment, ses ornements et sa vie...

Henri BAUDIN.

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